La réalité du travail hybride est en train de s’imposer dans les entreprises et les organisations, si l’on en croit le témoignage de Nicholas Bloom, professeur du département Economie de Stanford Graduate School of Business et auteur d’une étude menée auprès de 30.000 Américains.  

Alors que les entreprises retrouvent petit à petit une activité prépandémie, la réalité du télétravail n’est pas près de disparaître.

Au cours des différents échanges que nous avons eus et des études consultées, dont celle effectuée par Nicholas Bloom à Stanford, nous constatons que 70% environ des entreprises de toutes tailles prévoient de mettre en œuvre une forme de travail hybride, afin que les employés partagent leur temps en présentiel, avec un travail collaboratif qui sera privilégié avec leurs collègues et du télétravail

Une organisation en mode hybride

Cette organisation établit un équilibre avec les avantages du présentiel, notamment la capacité de collaborer, d’innover et de s’imprégner de la culture de l’entreprise – et les avantages télétravail, en l’occurrence le calme et la suppression des déplacements.

Les entreprises consultées suggèrent souvent aux employés de travailler deux jours par semaine en télétravail, en se concentrant sur des tâches individuelles ou de petites réunions, et trois jours par semaine au bureau, avec des réunions plus importantes, des formations, interactions et événements sociaux.

Les réunions en petit comité peuvent être tout aussi efficaces en vidéo qu’en face à face. En effet, les appels vidéo permettent d’économiser le temps de déplacement nécessaire pour les échanges en face à face. Et puisque les appels vidéo pour 2 à 4 personnes permettent d’occuper un grand espace sur un écran vidéo : il est facile d’être vu sans occasionner de surcharge cognitive (voir précédente tribune sur la fatigue Zoom).

En revanche, près de la moitié des répondants à cette enquête ont indiqué que les réunions de 10 personnes ou plus n’étaient pas optimales en visioconférence. Les gens sont affectés à des box de petite taille, il est donc difficile de voir les visages et les gestes des participants. Et les participants doivent normalement se taire, conduisant à des conversations étouffées et à cette fameuse « zoom fatigue » née des nombreux contacts oculaires rapprochés et de la charge cognitive. Il est donc préférable dans ce cas de privilégier les réunions en face à face.

74% ne veulent plus de la “vie d’avant”

Quelques cas spécifiques sont à noter dans cette étude comme les collaborateurs, avec des jeunes enfants qui vivent des zones pavillonnaires dans des banlieues et pour qui les déplacements sont très contraignants et fatigants. Ils sont 32% à ne pas souhaiter retourner au bureau, ce qui est un chiffre très élevé !

A l’autre extrémité, 21% précisent qu’ils ne veulent pas du télétravail. Ce sont souvent des jeunes, des employés célibataires ou des « empty nesters » dans les appartements du centre-ville.

En France, une étude Opinion Way précise en 2021 que 74% des personnes souhaitent conserver le télétravail et ne plus retourner « à la vie d’avant », le nombre de jours optimal étant de 2,7 jours, selon une autre étude Harris Interactive réalisée cette même année.

Face à ces situations inédites, le premier réflexe naturel serait de laisser les collaborateurs choisir et de les traiter comme des adultes responsables. Ils peuvent décider quand et où ils veulent travailler, à partir du moment où le travail est effectué correctement et efficacement !  Mais quels sont les impacts sur le management ?

Le cauchemar managérial

Toujours selon Nicholas Bloom, la première préoccupation est comment manager une équipe hybride, c’est à dire dans laquelle certaines personnes seraient à la maison et d’autres au bureau. De nombreux managers expriment en effet de l’anxiété à l’idée de gérer un groupe présent au bureau et un groupe extérieur, en télétravail.

Par exemple, « les employés en télétravail peuvent voir des regards ou des chuchotements dans la salle de visioconférence du bureau, mais ne peuvent pas dire exactement ce qui se passe ». Même lorsque les entreprises essaient d’éviter cela en obligeant les employés de bureau à prendre des appels vidéo de leur bureau, les collaborateurs en télétravail se sentent souvent exclus. Ils savent qu’après la réunion, les salariés présents au bureau peuvent discuter dans le couloir, ou aller prendre un café ensemble.

La deuxième préoccupation concerne le choix des jours de télétravail, une crainte partagée par toutes les entreprises.

S’ils en ont la possibilité, la plupart des employés aimeraient travailler en dehors du bureaule lundi et le vendredi. En effet, l’étude précise que seuls 36% des collaborateurs choisiraient de venir le vendredi, contre 82% le mercredi.

Cela met en évidence les problèmes que les entreprises pourraient rencontrer en ce qui concerne l’utilisation efficace de l’espace de bureau si elles laissaient les employés choisir leurs jours de travail à domicile. Fournir suffisamment de bureaux pour chaque employé le mercredi laisserait la moitié de ces bureaux vides le lundi et le vendredi, ce qui est difficilement envisageable avec une utilisation optimale des bureaux.

Progression de carrière et diversité

La troisième préoccupation porte sur l’impact du télétravail sur la progression de carrière. Dans une étude, Nicholas Bloom a étudié le parcours de 250 volontaires d’une multinationale, un groupe étant en télétravail 4 jours par semaine et l’autre travaillant au bureau à plein temps. Il a constaté queles télétravailleurs avaient un taux de promotion de 50 % inférieur au bout de 21 mois, comparativement à leurs collègues de bureau. Ce handicap pourrait s’amplifier avec une généralisation trop forte du télétravail accompagnée d’un manque de suivi en matière d’équilibre télétravail/présentiel.

Par ailleurs, le fait de permettre aux salariés de choisir leurs horaires de travail pourrait exacerber le manque de diversité, ce qui va à l’encontre des politiques de diversité que les DRH favorisent en entreprise.

Les jeunes hommes célibataires choisiraient de venir au bureau cinq jours par semaine et bénéficieraient de promotions internes plus rapides, alors que les salariés en télétravail (car habitant loin du bureau et/ou ayant des enfants…) auraient des progressions de carrière plus faibles. Au final, ceci aurait probablement un impact négatif sur la diversité, avec d’éventuels enjeux légaux liés une nouvelle forme d’inégalités dans les évolutions professionnelles.

“Nécessité d’un véritable leadership”

En France, le Code du Travail ne fixe aucun critère ou condition particulière pour déterminer la possibilité ou l’opportunité de mettre en œuvre le télétravail dans une entreprise au profit des salariés.

Depuis l’entrée en vigueur de la loi sur le renforcement du dialogue social, il n’est plus nécessaire de modifier le contrat de travail pour permettre à un salarié de télétravailler. Pour mettre en place le télétravail, il existe 3 possibilités : un simple accord entre employeur et salarié (accord oral, courriel, courrier…), un accord collectif ou une charte élaborée par l’employeur après avis du CSE (Comité Social et Economique)1.

La pandémie a déclenché une révolution dans notre façon de travailler, et ces recherches montrent que le travail à domicile peut rendre les entreprises plus productives et les employés plus heureux.

Les résultats sont similaires en France et en Europe. Mais comme toutes les révolutions, il est difficile de s’y retrouver. Les entreprises ont besoin d’un excellent leadership pour s’assurer que leur main d’œuvre reste diversifiée et véritablement inclusive.

Pierre Maurin 

Senior Partner Alhambra International et Directeur Exécutif Skilfi.

1Source d’informations : Economie.gouv