Dans un nouveau livre sur la manière dont la technologie aura un impact sur les travailleurs, des experts du MIT expliquent comment l’intelligence artificielle est loin de remplacer les humains, mais fera évoluer la plupart des emplois et professions.

C’est l’un des enseignements des professeurs du MIT David Autor et David Mindell et de la chercheuse Elisabeth Reynolds dans leur nouveau livre “The Work of the Future : Building Better Jobs in an Age of Intelligent Machines”*. Dans un contexte d’anxiété généralisée à propos de l’automatisation et des machines qui déplaceraient et/ou remplaceraient les collaborateurs, l’idée que les avancées technologiques ne nous entrainent pas vers un avenir sans emploi est une bonne nouvelle.

La première étape vers ce nouvel horizon consiste à comprendre les technologies émergentes. C’est plus particulièrement le cas de l’IA (Intelligence Artificielle) : comprendre ses capacités et ses limites est essentiel, surtout si, comme l’écrivent les auteurs de l’ouvrage, “l’avenir de l’IA est l’avenir du travail”.

La nécessaire prise en compte du facteur “temps”

Pour aborder le temps de développement et de déploiement des applications d’IA et de robotique, il convient de considérer la nature du changement technologique au fil du temps. Quand les gens pensent aux nouvelles technologies, ils pensent souvent à la loi de Moore, au doublement de la puissance des microprocesseurs ou à l’incroyable prolifération des smartphones et des applications au cours des dernières décennies, ainsi qu’à leurs profondes implications sociales. Il est devenu courant chez les techno-experts de décrire ces changements comme “une accélération”, mais souvent avec des périodes de gestation assez longues. Par exemple, les technologies de base d’Internet qui ont démarré dans les années 1960 et 1970, n’ont explosé dans le monde public qu’au milieu des années 1990. Et ce n’est qu’au cours de la dernière décennie que la plupart des entreprises ont véritablement adopté l’informatique en réseau avec une transformation de leurs activités et de leurs processus.

Erik Brynjolfsson, membre du groupe de travail, appelle ce phénomène une “courbe en J”, suggérant que la voie de l’acceptation technologique est lente et progressive au début, puis s’accélère pour atteindre une large acceptation, du moins pour les technologies à usage général comme l‘informatique. Une telle chronologie reflète une phase de perfectionnement et de maturation des nouvelles technologies, puis une phase liée aux coûts d’intégration et à l’adoption managériale, puis celle des transformations fondamentales.

Un peu de prospective…

Quatre décennies pourraient être la période à prendre en compte lorsqu’on évalue la relation entre le changement technologique et l’avenir du travail. Comme l’a dit l’écrivain de science-fiction William Gibson : “L’avenir est déjà là, il n’est tout simplement pas réparti de manière égale”. L’idée de Gibson est de lier la lente évolution à l’adoption massive de ce que nous voyons dans le monde aujourd’hui. Les entrepôts automatisés d’aujourd’hui offrent probablement un bon aperçu de l’avenir, même s’ils prendront du temps pour être largement adoptés (et ne seront probablement pas représentatifs de tous les entrepôts). Il en va de même pour les lignes de fabrication les plus automatisées d’aujourd’hui et pour la production avancée de pièces à valeur ajoutée. Les voitures autonomes ont déjà 15 ans dans leur cycle de développement, mais commencent tout juste à atteindre leur déploiement initial.

La plupart des systèmes d’IA déployés aujourd’hui, bien que nouveaux et impressionnants, entrent toujours dans la catégorie de ce que Daniela Rus, membre du groupe de travail, pionnière de l’IA et directrice du Laboratoire d’informatique et d’intelligence artificielle du MIT, appelle “l’IA spécialisée”. Ce sont des systèmes qui examinent de vastes quantités de données, extraient des modèles et font des prévisions pour guider les actions futures ; ils peuvent résoudre un nombre limité de problèmes spécifiques, en produisant notamment des comportements qui imitent ce que font les humains sur des tâches bien connues.

Avenir du travail et de l’IA sont liés

Du point de vue du travail, les systèmes d’IA spécialisés sont donc plutôt axés sur les tâches, c’est-à-dire qu’ils exécutent un ensemble limité de tâches, mais pas l’ensemble des activités constituant une profession. Par exemple, la lecture de radiographies est un élément clé du travail des radiologues, mais ce n’est qu’une des dizaines de tâches qu’ils accomplissent. Dans ce cas, l’IA peut permettre aux médecins de consacrer plus de temps à d’autres tâches, comme effectuer des examens physiques ou élaborer des plans de traitement personnalisés. Dans l’aviation, les humains ont longtemps compté sur les pilotes automatiques pour augmenter leur contrôle manuel de l’avion ; ces systèmes sont devenus si sophistiqués pour automatiser les grandes phases de vol que les pilotes pourraient y perdre leur touche manuelle pour les commandes, conduisant dans des cas extrêmes à des accidents mortels. Les systèmes d’IA n’ont pas encore été certifiés pour piloter des aéronefs commerciaux.

La capacité de s’adapter à des situations entièrement nouvelles demeure un énorme défi pour l’IA et la robotique et c’est l’une des raisons clé pour laquelle les entreprises continuent de compter sur les collaborateurs humains pour diverses tâches. Les humains excellent encore dans l’interaction sociale, les aptitudes physiques imprévisibles, le bon sens et, bien sûr, l’intelligence générale.

Ces dimensions demeurent hors de portée de l’IA actuelle, ce qui a d’importantes répercussions sur le travail. D’une certaine manière, nous pouvons en conclure que l’avenir de l’IA est lié à l’avenir du travail.

Pierre Maurin est Senior Partner Alhambra International et Directeur Exécutif Skilfi.

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