Une nouvelle frontière dans la gouvernance d’entreprise
L’intelligence artificielle (IA) transforme les fonctions aux sein des entreprises, mais son impact le plus révolutionnaire pourrait avoir lieu dans les conseils d’administration. Alors que les entreprises adoptent l’IA pour stimuler leur productivité, les conseils commencent à examiner comment celle-ci peut améliorer la qualité de la gouvernance.
Selon un rapport de la Stanford Graduate School of Business en partenariat avec Hoover Institution, un think tank, l’IA va influencer quatre aspects clés de l’activité des conseils :
- Le fonctionnement et la structure du conseil
- Le traitement de l’information
- Les interactions entre le conseil et la direction
- La contribution des conseillers
Repenser la gouvernance traditionnelle
Historiquement, les conseils d’administration dépendent de la direction pour obtenir des informations, avec des contraintes de temps et une asymétrie de connaissance. Bien que les consultants externes comblent en partie ces lacunes, des défaillances en matière de supervision persistent parfois (comme la sélection du PDG, la gestion des risques, la fixation des rémunérations, la responsabilité des produits, ou encore les rapports financiers). Le problème fondamental réside dans un flux d’information trop limité et une dynamique de conseil trop réactive et pas suffisamment proactive.
L’impact de l’IA sur les pratiques de gouvernance
L’IA promet de rééquilibrer cette relation en améliorant l’accès aux informations et la dimension analytique des administrateurs :
- Réduction de l’asymétrie d’information : Les plateformes d’IA offrent un accès direct aux données en temps réel, réduisant la dépendance vis-à-vis de la direction.
- Préparation aux réunions intensifiée : Les administrateurs doivent analyser davantage de données avant les réunions, ce qui élève les attentes en matière de vitesse et de connaissances.
- Transformation du rôle des conseillers : L’IA pourrait remplacer ou surpasser certains services de conseil externes, notamment dans les domaines du benchmarking et de l’analyse prédictive.
- Amélioration de la qualité des décisions : Les administrateurs reçoivent des analyses alternatives et des réponses basées sur les « prompts », ce qui permet d’approfondir davantage et de « challenger » les équipes de management.
Cependant, cette transformation complexifie les rôles et soulève des questions juridiques, éthiques et de sécurité. L’accès illimité aux données, bien que puissant, peut exposer les conseils à des risques juridiques ou à une ingérence excessive dans la gestion et le management de l’entreprise.
Applications fonctionnelles de l’IA en gouvernance
L’IA est capable d’améliorer l’exécution de certaines responsabilités du conseil :
- Stratégie : L’IA contribue à la planification des hypothèses et scénarios et une modélisation des risques, réduisant la dépendance aux cabinets de conseil.
- Rémunération : Les outils d’analyse comparative en temps réel et de simulation améliorent la politique des rémunérations et leur transparence.
- Capital humain : L’IA identifie les tendances du marché du travail, les lacunes en terme de compétences et les prévisions sur la politique de diversité en exploitant les données RH.
- Audit & Risque : L’IA détecte les fraudes, les faiblesses des contrôles internes et automatise la surveillance.
- Juridique & Réglementaire : L’IA surveille l’évolution des réglementations, propose des interprétations alternatives et aide à la gestion des risques légaux.
- Efficacité du conseil : L’IA analyse l’engagement, les dynamiques de prise de décision et propose des améliorations, remplaçant ou complétant ainsi les évaluations traditionnelles basées sur des études et des entretiens.
Ces outils rationalisent le travail des conseils mais transfèrent davantage de responsabilités analytiques aux administrateurs.
Avantages et risques de l’adoption de l’IA dans les conseils
L’adoption de l’IA dans les conseils d’administration présente des avantages indéniables mais aussi des risques considérables. L’un des principaux avantages est la capacité de prendre des décisions plus rapides et plus éclairées, ce qui permet aux conseils d’agir avec une plus grande agilité. L’IA améliore l’efficacité des réunions en rationalisant les discussions et en fournissant des renseignements fondés sur les données. De plus, les équipes de management bénéficient d’une préparation améliorée grâce à des outils de simulation qui offrent des meilleures prévisions et de la planification stratégique. L’IA appuie en outre la planification des scénarios et l’identification des risques en temps réel, aidant les conseils d’administration à anticiper et à atténuer les défis potentiels.
Cependant, ces avantages sont assortis de risques. Une trop grande confiance dans les connaissances générées par l’IA amène à des décisions erronées, en particulier si les algorithmes sont basés sur des ensembles de données biaisés ou incomplets. L’adoption de l’IA augmente les menaces liées à la cybersécurité, rendant les discussions sensibles des conseils d’administration plus vulnérables. En outre, le volume de données fourni par l’IA va entraîner une “paralysie des analyses“, où la prise de décision est ralentie en raison d’une complexité excessive. Il existe également un équilibre délicat entre la transparence et la confidentialité, en particulier lorsque les pratiques d’analyse comparative diffèrent entre les entreprises cotées et celles qui sont « privées ». Compte tenu de ces défis, il est essentiel que les membres du conseil d’administration soient formés pour interpréter les résultats de l’IA de façon critique plutôt que de faire facilement confiance aux recommandations algorithmiques.
À l’avenir, l’IA soulève des questions de gouvernance stratégique que les conseils et les dirigeants doivent aborder. Les directeurs s’adapteront à des rôles plus axés sur les données et l’analytique, seront plus proactifs, ce qui nécessitera de nouvelles compétences et une formation pour tirer parti de l’IA. Il existe aussi un risque que l’IA modifie la frontière entre la surveillance et la gestion, ce qui modifierait la dynamique de gouvernance. En réalité, l’IA améliorera-t-elle la gouvernance en perfectionnant le processus décisionnel ou introduira-t-elle de nouveaux angles morts reproduisant les échecs passés?
Questions stratégiques pour l’avenir
L’IA dote les conseils d’outils puissants mais soulève des questions clés : adaptation des administrateurs, nouvelles compétences, frontière entre supervision et gestion, et risques de nouveaux angles morts. Son intégration ne se limite pas à la technologie, elle redéfinit la gouvernance à l’ère du numérique.
Pierre MAURIN
Partner