La formation professionnelle est un enjeu sociétal, surtout dans une période de mutations économiques majeures avec 10 à 20% des emplois menacés de disparition et 50% des autres qui seront profondément transformés dans les dix prochaines années, selon les projections de l’OCDE. Voyons ensemble les points majeurs du projet de réforme du gouvernement :

  • Un Financement inchangé, un mode de collecte modifié

Le taux de la nouvelle « cotisation formation professionnelle » (CFP) resterait inchangé mais les entreprises ne paieront plus qu’une seule cotisation au lieu de deux (1% formation et taxe d’apprentissage). Ces cotisations ne seraient plus collectées par les OPCA, mais par l’URSSAF organisme collecteur des cotisations sociales qui les transférera à la Caisse des Dépôts. Les TPE et les PME (moins de 50 salariés) bénéficieront d’un système de mutualisation financière avec de plus grandes entreprises afin de pouvoir financer la formation de leurs salariés. La contribution totale restera à 1,68% pour les entreprises de plus de 11 salariés et 1,23% pour celles de moins de 10 salariés. Le système de mutualisation financière favorisera un meilleur accès à la formation pour ces dernières qui assurent souvent un rôle de fournisseur pour les grandes entreprises qui profiteront indirectement de ces nouvelles compétences.

  • Refonte du CPF et accès élargi aux demandeurs d’emploi

Le fait de créditer le CPF en euros chaque année (500 euros) à concurrence maximum de 5000 euros et de le rendre mobilisable via une application numérique est en phase avec l’évolution des modes de vie et de l’accroissement des usages digitaux. C’est un avantage réel pour le salarié qui pourra gérer son compte personnel avec son « appli ».

Les salariés non qualifiés disposeront d’un CPF allant jusqu’à 8000 euros pour réorienter leur carrière professionnelle est un mécanisme susceptible de réduire les inégalités à l’emploi de même que la possibilité pour les entreprises et les branches d’abonder le CPF de toute personne, dans le cadre d’accords collectifs.

La transformation du CIF en “CPF de transition” permettra d’accroitre les droits pour les formations longues. En effet, pour bénéficier d’une formation efficace et attractive pour les employeurs, dans le cadre d’une réorientation professionnelle majeure, il faut au moins 400 heures !

Ce dispositif donnera plus de liberté pour choisir son avenir professionnel à chaque individu salarié, il sera nécessaire d’encadrer certaines formations choisies par les salariés afin qu’elles répondent bien à des besoins de renforcement de son employabilité.

Le gouvernement pourrait aller plus loin dans le cadre de cette refonte du CPF en l’élargissant à l’ensemble des actifs et notamment aux indépendants qui contribuent chaque jour à la production des richesses de notre pays. Par ailleurs, dans une logique de responsabilité individuelle, il pourrait instituer un crédit d’impôt pour toute personne – salariée ou à la recherche d’un emploi – abondant à son initiative son Compte Personnel de formation. Les sommes déductibles viendraient en déduction de l’impôt dû dans la limite d’un plafond annuel.

Parallèlement à la réforme du CPF, sera mis en œuvre le programme d’investissement dans les compétences qui doit former, en cinq ans, 1 million de demandeurs d’emploi peu qualifiés et 1 million de jeunes éloignés du monde du travail.  C’est un dispositif complémentaire du CPF ; il est nécessaire, mais il devra éviter les dérives constatées lors de la mise en place du plan « 500 000 formations” en 2016 avec notamment l’apparition d’organismes à la durée de vie souvent éphémère…

  • Le nouveau CEP

Le nouveau CEP (Conseil en Evolution Professionnelle) avec un déploiement plus important et toujours gratuit portera sur l’évaluation des compétences du salarié, la définition du projet professionnel, les formations disponibles… Il doit concerner aussi l’ensemble des collaborateurs qualifiés et non qualifiés, car les compétences deviennent rapidement obsolètes dans une économie en profonde mutation. Le CEP va bénéficier d’un financement spécifique de l’ordre de 200 à 300 Millions d’euros par an, et s’ouvrir à davantage d’opérateurs, notamment privés ; il pourrait aussi s’ouvrir aux solutions numériques pour favoriser les formations innovantes et à distance.

  • Evolution de la gouvernance

Les OPCA vont évoluer profondément dans le cadre de leurs missions qui seront aujourd’hui spécialisées dans la GPEC, la transformation des métiers, l’accompagnement des branches professionnelles dans, la création de formations ou le financement de centres de formation pour apprentis. Ces opérateurs de compétence ne collecteront plus les fonds provenant des entreprises, ce sera maintenant à l’URSSAF de le faire. La transformation de leurs missions sera un exercice périlleux, car ils vont passer d’une logique de collecteur/conseiller à un rôle d’expert/consultant en matière de formation professionnelle. Ils devront se livrer à un exercice d’anticipation sectorielle et territoriale des transformations économiques avec leurs impacts sur l’évolution des compétences. Pour cela, l’appui des branches professionnelles et aussi de tous les professionnels compétents dans la transformation des métiers comme le sont les DRH et leurs équipes sera déterminant pour la réussite des Opérateurs de compétences.

La création d’une agence de régulation « France Compétences » dont la mission sera de mieux réguler la qualité des certifications obligatoires des organismes de formations et des CFA est aussi une avancée significative. Des agences existent déjà en Allemagne, au Danemark et en Suisse depuis quelques années ; elles garantissent une meilleure qualité des formations et ont davantage professionnalisé ce secteur. La future agence jouera aussi le rôle d’observatoire des prix des formations. La gouvernance de cette agence sera cruciale, elle associera l’Etat, les Régions et les partenaires sociaux.

Les conditions de réussite de cette agence sont multiples : sa gouvernance devra être à la fois tripartite, et fonctionner de manière autonome, elle devrait avoir pour mission de rendre un rapport d’évaluation une fois par an, comme le fait la cour des comptes sur les comptes publics. Une mission de contrôle de cette agence confiée au parlement pourrait être aussi envisagée.

Le gouvernement a fait preuve avec l’annonce de ce projet d’audace réformatrice avec des propositions pour garantir une formation professionnelle plus performante et plus inclusive ! Ce chantier est aussi important que celui du droit du travail pour la compétitivité de notre pays, dans la bataille des compétences qui fait rage à l’échelle mondiale. Le projet de loi doit maintenant être finalisé pour garantir une mise en œuvre opérationnelle qui associe bien l’ensemble des acteurs concernés et assurer un contrôle effectif de ce nouveau dispositif.

Pierre Maurin est Partner chez Alhambra International, un cabinet spécialisé dans l’Executive Search et les solutions de Leadership dans les secteurs Industrie, Technologie et Digital et services B to B en Europe. Il est le co-fondateur et le Directeur Exécutif de SKILFI, un site de coaching emploi, mentoring professionnel & accompagnement de carrière en ligne. Il coordonne régulièrement pour un Think Tank des groupes de travail associant des personnalités de la vie sociale et des parlementaires sur des sujets relatifs à l’emploi et à la formation professionnelle. Il est diplômé de Kedge Business School (Executive MBA) et de l’université Aix-Marseille I (Master II en Information/Communication).

Tribune publiée sur FOCUSRH